Que ce soit sur Twitter ou dans Facebook, il ne se passe pas une journée sans qu’on ne voit passer des chiffres et stats sur les usages du numérique : “taux de pénétration et audiences des réseaux sociaux” ou bien “taux de conversion dans le e-commerce” ou encore “taux d’équipement dans les mobiles”, yada yada.

On ne s’en étonne plus et depuis quelques années, nous sommes habitués à voir pleuvoir ces chiffres et stats que ce soit via des infographies toujours plus nombreuses et colorées ou via des vidéos telles que la célèbre saga dont SocialNomics nous gratifie désormais chaque année.

SocialNomics 2013

Elles sont sympas ces vidéos de SocialNomics. C’est animé, c’est entertaining et ça pourrait se consommer avec un seau de popcorn à la main, en profitant de la bande son – ou pas. Mais une fois la vidéo visionnée et le spectacle terminé, qu’est-ce qu’on en garde ? A vrai dire, pas grand chose.

Mais avec ces sur-abondance de données, de chiffres et d’information – vous avez dit infobésité ? – vient un autre phénomène qui se développe et se généralise, au point de toucher des sources d’information a qui on avait l’habitude de faire confiance. Le problème se généralise.

Quel est ce problème ? Etant tous plus ou moins victimes d’ADD, nous ne prenons plus le temps de lire, d’essayer de comprendre et surtout de faire un minimum de “Fact Checking”. Alors on gobe l’info, et on la régurgite à coup de Likes, de RT et de +1 avant d’avoir eu le temps de la digérer et de l’assimiler.

Dernier exemple en date

Pas plus tard que ce matin, je vois passer un tweet qui relaye billet de blog dont le titre attire mon attention : “Pinterest : Deuxième réseau social en terme d’audience“. Une lecture rapide me confirmera que le titre est trompeur, et que l’auteur du billet s’est vraisemblablement emmêlé les crayons entre plusieurs notions différentes : taille de l’audience, croissance de l’audience, trafic généré et referrals. Pourtant tout ça n’est rien que du basique.

Weblife before editing

Malheureusement ce n’est pas un exemple isolé, et j’ai même l’impression que ça devient de plus en plus courant.

Entre raccourcis et a-peu-près on s’y perd rapidement

Ce billet de blog nous informe donc que Pinterest serait le second plus important réseau social en terme d’audience, juste après Facebook.

Weblife before editing 2

Quelle est sa source ? Un article de Mashable. Or cet article de Mashable ne porte pas sur l’audience des réseaux sociaux, mais sur le trafic généré. Ce n’est pas l’audience de Pinterest qui est seconde juste derrière celle de Facebook, mais le trafic généré par Pinterest, toujours selon cette source. A minima, le titre de ce billet de blog est erroné et induit le lecteur en erreur.

D’où viennent ces chiffres ? Qui est Shareaholic ?

Voilà ou le bât blesse, réellement. Ces chiffres viennent des données propres de Shareaholic, sur la base des 200,000 et quelques sites web qui sont leur clients et qui utilisent leurs outils.

Que vend Shareaholic ? Leur business c’est les boutons de partage social. Vous savez, cette collection de petits widgets qui permettent de partager un article ou un billet sur une variété de sites et de réseaux sociaux.

Shareaholic buttons

Est-ce que ces 200,000 sites web sont représentatifs ? A mon sens, certainement pas. Si on s’intéresse à ces données de génération de trafic, c’est très généralement parce qu’on s’intéresse aux questions de performance de marketing digital et qu’on cherche à améliorer sa perf, d’une façon globale, que ce soit en augmentant le trafic en amont, en améliorant le taux de conversion, le taux de repeat ou encore en augmentant la valeur du panier moyen. En bref, quand on s’intéresse à tout ceci on est généralement un e-commercant. Or, pouvez-vous me dire sur quels sites de e-commerce majeurs vous avez rencontré les boutons de partage de Shareaholic ? Sans doute aucun. Ces boutons, on a plus de chance de les croiser sur des blogs ou des sites de TPE et de PME pour ne pas dire de business familiaux type “Mom and Pop”.

Quid de la pertinence des chiffres de Shareaholic ? Ils sont sans doute vrais pour la moyenne de leur clients, mais de là à généraliser et à extrapoler pour votre cas précis, je ne m’y risquerais pas et je vous en laisse l’initiative ;)

Mais alors pourquoi est-ce que Shareaholic publie ces chiffres, si ce n’est pas leur coeur de métier ? Et bien c’est tout simple : pour eux, ces soi-disant études sont un moyen de se faire connaitre et de faire parler d’eux, c’est une démarche marketing de Branded Content. En ça, ils ont bien suivi les conseils prodigués par HubSpot.

Mais puisqu’on parle de Pinterest, continuons un peu avec ce sujet… Que n’a-t’on pas dit et pas écrit au sujet de Pinterest depuis ces deux dernières années. Et là on trouve du tout et du n’importe quoi aussi.

Shareaholic, le retour

Ce n’est pas la première fois que Shareaholic nous gratifie des résultats de ce type d’étude. L’an passé déjà, une publication similaire avait fait la une de TechCrunch qui n’avait pas hésité à titrer : “Pinterest Traffic Passes Google Referrals, Bing, Twitter & StumbleUpon

TC Traffic from Pinterest - July 2012

Wow. Pinterest ferait mieux que Google en termes de génération de trafic ? SRSLY ? Ah oui mais non, c’était sans lire les petites lignes dans l’article. Après avoir cliqué et avoir été compté comme une PV et un UU. Curiosity Killed The Cat ;)

L’article précise quand même, pour les plus curieux, que le trafic provenant de Google Search a été compté à part.

TC Traffic from Pinterest 2 - July 2012

Donc quand vous lisez le titre de l’article “Pinterest Traffic Passes Google Referrals, Bing, Twitter & StumbleUpon” il faut comprendre que c’est Google hors Google Search et hors Google+. Evident. Et pas du tout confusing, hein. Rah la la, sacré TechCrunch, depuis ton acquisition par AOL, c’est la course aux pages vues et tu es prêt à tout. Je comprends, je te pardonne. *NOT*.

Quelle perf pour Pinterest, en vrai ?

A la même époque que l’article précédent de TechCrunch, en 2012, on pouvait lire un autre article qui venait clairement nuancer le propos en parlant non plus de trafic généré mais de conversion et d’achats. Et cette fois, la source n’était autre que le directeur de Zappos Labs, donc quelqu’un a qui je suis déjà par nature plus enclin à faire confiance qu’à un amalgame de 200,000 sites indéterminés de Shareaholic.

Zappos PInterest does not generate a lot of sales

Que nous disait ce monsieur, qui doit tout de même connaitre un truc ou deux en termes de business et de e-commerce ? Le propos est clair : “Pinterest Doesn’t Generate A Lot Of Sales”. Voilà. Ne pas confondre trafic entrant avec conversion. Ne pas confondre activité avec efficacité et performance.

Intéressons-nous alors au taux de conversion

Parce qu’au final, on est bien d’accord sur le fait que le trafic généré n’est qu’un KPI mais en aucun cas le but ultime. Le ROI se mesure en termes de revenu, et là où il y a du revenu constaté, pas dans les étapes intermédiaires du funnel. Parlons de conversion donc.

Ca tombe bien puisqu’un article relativement récent publié sur LSA Conso nous donne des infos sur l’apport de trafic, la conversion et le panier moyen pour Facebook, Pinterest et Twitter. L’article est daté de Septembre 2013. Et là, on apprend que si Facebook reste le leader incontesté en termes de trafic généré, en revanche Pinterest serait meilleur en termes de conversion :

LSA Conso 1

Le hic, c’est que la source de ces données c’est une infographie. Une infographie construite sur des chiffres collectés entre Janvier et Aout 2012, soit des chiffres vieux de un an à un an et demi au moment de la publication de l’article. Et 18 mois rapportés à l’échelle de Pinterest, c’est la nuit des temps. Ces chiffres sont #old et sans doute plus très pertinents. Comment son collectées ces données ? Comme dans le cas précédent avec Shareaholic, ici les données viennent des sites de e-commerce utilisant les solutions de Richrelevance. Qui sont-ils ? On ne le saura pas. Est-ce qu’il y a des cadors du e-commerce parmi leurs clients ? Aucun moyen de le savoir…

Mais tout de même. Essayons de lire plus loin.

LSA Conso 3Le second hic, c’est que contrairement à l’article de LSA Conso, l’infographie ne dit pas que Pinterest est plus efficace en termes de conversion. Elle dit même tout le contraire : “Facebook shoppers also lead in same-session conversion rate“. L’auteur de l’article sur LSA Conso aura sans doute fait un raccourci trompeur entre le taux de conversion (Avantage Facebook avec 2,6% vs 0,9% pour Pinterest) et la valeur moyenne du panier d’achat (Avantage Pinterest, avec $169 contre $95 pour Facebook).

LSA Conso 2

Pas bien grave vous me direz. Oui et non. Sauf que si je sais encore faire une multiplication, chez moi, un taux de conversion à 2,6% pour un panier d’achat moyen à $95 reste tout de même plus intéressant qu’un taux de conversion à 0,9% pour un panier d’achat de $169. Chez vous aussi ? Vous me rassurez…

Bref…

J’ai encore une bonne demi douzaine d’autres exemples d’articles ou de billets de blog qui intentionnellement ou pas font des raccourcis abusifs, des approximations voire carrément des grosses erreurs comme celles illustrées ci dessus. Mais ce billet est déjà assez long comme ça et je suppose que j’ai déjà perdu les 3/4 des lecteurs en route du fait du TR;DR.

Le mot de la fin

Plus que jamais, s’il vous plait : prenez le temps de lire, de comprendre et aussi parfois de savoir lire entre les lignes. Evitez, et je m’inclue dans la masse, et évitons de céder à la facilité du “Like” ou du +1 ou du RT pour des infos qu’on n’aura pas vraiment pris le temps de lire, de comprendre et de vérifier à minima. Même si au départ ça part d’une bonne intention type “I’m nice, I share” au final ça ne fait que d’amplifier le bruit et de noyer les infos qui valent le coup dans un brouillard indiscernable de chiffres, stats, infos plus ou moins sérieuses.

Et puis enfin, à titre perso, ça ne peut jamais faire de mal de savoir vraiment de quoi on parle et de s’économiser des occasions de répéter des âneries. Rendez vous ce service :)

Hashtag #clindoeil aux Etudiants en M1 Comm Digitale de l’ ECS_Paris ;)

15 replies on “Chiffres et Stats sur les réseaux sociaux : Sachez lire entre les lignes”

  1. Merci pour cet article très complet. Je dois être l’un des seuls à avoir tout lu ;) Dommage que de nombreux media jouent sur la titraille chocs et les raccourcis. Maintenant, c’est toujours plus racoleurs et générateur de partage / lecture qu’une analyse longue, sérieuse et posé.
    Maintenant je crains que cela soit un effet de bord de l’infobésité + de la consommation de l’actu en mode zapping qui se développe actuellement.
    J’ose espérer qu’il restera toujours de la place et de l’intérêt pour des papiers de qualité (même si ça prend beaucoup plus de temps pour le rédacteur).
    Je trouve que l’on retrouve ce type de dérive dans les autres média. La TV et la presse en premier. Il suffit de regarder les reportages dans les journaux TV pour s’en apercevoir. On est passé de reportage type “grand reporter” à des news people et/ou conso qui sont beaucoup moins chère à produire et qui intéresse finalement bien plus monsieur et madame michu.
    Si on leur demande, les téléspectateurs diront toujours préféré des contenus “elitistes” comme ce que l’on peut voir sur Arte. Maintenant dans les faits, la télé réalité et les émissions d’entertainment sont bien plus regardés…
    Pour en revenir aux articles sur le net, c’est exactement pareil. Et je pense que cela risque de s’aggraver (merci les réseaux sociaux ou on peut d’un clic exprimer son sentiment sans avoir à commenter/critiquer).
    La seule chose qui me rassure un peu :
    – il restera toujours des personnes qui préférerons la qualité au sensationnalisme (voir qui seront prêt à payer > émission web “Arret sur image”)
    – ceux qui cherchent à comprendre auront toujours une approche bien plus proche de la réalité et donc efficace que ceux qui survolent les informations. Sur le moyens / long termes, ils sont plus crédibles et efficaces.

    1. Merci pour ce commentaire.

      Oui effectivement c’est un pattern qu’on constate ici mais qu’on retrouve aussi un peu partout, comme vous le soulignez.

      J’espère que l’on pourra s’alimenter et rester plus ou moins à jour en consommant de l’info en “snack” sans que ça ne conduise complètement à la disparition d’une info fouillée et argumentée à laquelle on a recours quand on effectue un travail de recherche plus sérieux. Ca correspond à deux besoins et deux usages différents, effectivement. Tant que l’un ne cannibalisera pas complètement l’autre…

  2. (en fait, j’ai lu… et vérifié que le RT dont il est question au début n’était pas de moi). Et sinon, pour la private joke : “J’en ai parlé récemment sur mon blog… et je suis d’accord avec toi… mais je suis également pas d’accord…”

  3. Intéressant post. Tu soulèves un point que je considère aujourd’hui comme crucial et problématique depuis quelques mois. L’infobésité est un réel problème, l’analyse hasardeuse de chiffres toute aussi. Il est possible de faire dire n’importe quoi à des chiffres, un peu comme les sondages.

    1. “Torture numbers, and they’ll confess to anything.” — Gregg Easterbrook

  4. un truc que tu pourrais expliquer qu’est ce que Zappos labs et pkoi du coup tu fais plus confiance à son directeur et à ses publications sur ces sujets là!

  5. En gros tu recommendes de lire vraiment les articles qu’on partage sur twitter, facebook, scoop.it (guilty), twitter et autres? Tu ne vas pas te faire bcp d’amis toi ;-) mais bon je suis 100% d’accord

    1. Autant que possible, oui. Ou à défaut, éviter de RT des articles dont on n’a lu que le titre ;)

  6. Belle remise en question pour beaucoup de monde je pense ! L’accès aux data donne des envies de diffuser, re-diffuser (RT, share, Like) et ça engendre ce type d’article à la fin.
    Il y a aussi un gros problème : les français ne savent pas lire l’anglais :-) d’où les contresens, mauvaises interprétations etc face à des sources principalement anglophones… ahaha
    Non vraiment c’est une évidence : la course aux chiffres nous pousse à lire vite ou mal ! Ne pas connaître son sujet c’est tjs touchy quand on doit écrire dessus.

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